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«Jongler entre les rôles de leader, de manager et de coach»

Quels sont les défis que doivent relever les cadres? À quoi ressembleront les tâches de direction dans le futur? Quelles sont les compétences requises pour les dirigeants? PANORAMA a posé ces questions à Jürg Eggenberger, directeur de l’Association suisse des cadres (ASC).

PANORAMA: Comment définissez-vous un «cadre»?

Jürg Eggenberger: Le terme «cadre» est suranné et idéologiquement connoté; il englobe l’ensemble des employés qualifiés occupant une fonction de direction au sein d’une organisation. Je préfère cette image tirée du monde du sport, où un cadre est sélectionné pour figurer sur la liste restreinte des joueurs en fonction de ses performances. Ce terme est également utilisé dans la loi sur le travail, dans le contexte des contrats de cadre et des conditions d’engagement.

 

Quels sont les défis que doivent relever les cadres?

Les tâches de direction évoluent. La numérisation et la mondialisation introduisent de nouveaux modèles d’organisation efficients qui imposent de nouvelles règles du jeu aux branches professionnelles. Pour suivre ce rythme toujours plus rapide, les entreprises doivent se développer en permanence et réaliser leurs potentiels d’optimisation. Le décloisonnement du travail – qui passe par la mise en réseau, la flexibilité en termes de déplacements et de temps, et l’évolution des rôles endossés – exige un niveau élevé d’organisation personnelle de la part des collaborateurs et des équipes. On observe en outre une plus grande hétérogénéité chez les employés et une plus grande diversité des formes de travail. Aujourd’hui, les collaborateurs veulent davantage de liberté pour pouvoir trouver un équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Les évolutions constantes et l’économisation du travail s’accompagnent d’un plus grand risque de surmenage chez les personnes occupant des postes de direction et aboutissent à une réduction du temps passé dans ces fonctions. À partir d’un certain âge, les cadres ne devraient donc pas se limiter à une carrière classique, mais envisager également d’autres voies, par exemple en tant que portfolio workers, free-lances ou fondateurs d’une start-up.

 

À quoi ressembleront les tâches de direction dans le futur?

Les exigences augmentent. Les avantages, tels que le statut et le pouvoir, diminuent. Ces transformations vont de pair avec un besoin croissant de flexibilité aussi bien du côté de l’employeur que de l’employé. Nouvelles formes de travail, structures horizontales hybrides, pression liée à la flexibilité: tout cela demande des efforts de plus en plus importants. Les rôles et les attentes doivent être constamment redéfinis. En raison de l’économisation et de la densification du travail, il est devenu indispensable de promouvoir l’autogestion et la santé. On trouve aussi de plus en plus de «cols blancs» qui souhaitent avoir leur mot à dire. Il faut légitimer sa fonction de cadre, pouvoir jongler entre les rôles de leader, de manager et de coach et savoir distinguer quand il vaut mieux être suiveur que meneur. Le management est de plus en plus orienté vers les processus et ouvert en matière de décisions, tout en ayant pour mission de donner une ligne directrice et de veiller à la stabilité.

 

N’est-ce pas contradictoire?

Si. Pour pouvoir répondre à ces défis contradictoires, les cadres doivent mobiliser de nombreuses compétences. La communication reste la métacompétence la plus importante, car elle contribue à façonner des comportements et à démontrer la signification du travail, elle permet une responsabilité individuelle et des marges de manoeuvre, et elle favorise la collaboration. La communication est le fondement d’une gestion interconnectée, transparente et de confiance. La deuxième métacompétence essentielle est l’autogestion. Rester flexible, garder la volonté d’apprendre, autoriser des processus en étant ouvert aux résultats, gérer les changements et les tensions, insuffler continuellement de l’énergie dans le système: tout cela n’est possible que si l’on se connaît bien soi-même, si l’on sait faire preuve de résistance et si l’on parvient à maintenir l’équilibre entre ressources et charges. On observe un nombre croissant de conflits liés aux rôles et aux attentes en raison du chevauchement entre les modes de conduite hiérarchique et thématique. Ce à quoi s’ajoute la fluctuation des responsabilités selon les situations et les projets. Les compétences interdisciplinaires et la capacité à se connecter aux autres sont ici très utiles.

 

Vous n’avez encore rien dit à propos de la numérisation…

En ce qui concerne la numérisation et le travail 4.0, l’élaboration de processus de développement et de changement fait partie des tâches centrales qui incombent à un cadre. Dans un monde numérique, il est nécessaire d’avoir une compréhension approfondie des effets du changement entre les produits et leur utilité, d’une part, et entre les besoins des clients et leur comportement, d’autre part. Les compétences technologiques élémentaires en matière de productivité des infrastructures, de gestion des données, d’optimisation des processus, ainsi que de sécurité et d’éthique dans l’utilisation des technologies, gagnent également en importance. Enfin, il est utile de comprendre comment les processus d’innovation doivent être conçus afin de promouvoir l’expérience, de favoriser un apprentissage rapide et de permettre une évaluation prompte des risques.

 

Quel impact cela a-t-il sur la formation continue?

Les nombreux défis liés aux tâches de direction ne permettent pas aux cadres de dégager facilement du temps pour suivre des formations continues. L’apprentissage tout au long de la vie reste toutefois essentiel, bien que les besoins varient selon les situations personnelle et professionnelle de chacun. Au début de son parcours professionnel, on veut généralement élaborer une perspective de développement cohérente et créer les bonnes conditions pour sa propre carrière. Dans la phase «définition de carrière», il s’agit de faire un choix entre «spécialisation» et «généralisation » et de mettre continuellement à jour ses connaissances. Analyser régulièrement la situation aide à adopter les tendances au moment opportun, à consolider de manière systématique son portfolio de compétences et à éviter de voir ces dernières se réduire. Dans la phase de maturité, il s’agit de se demander, en faisant des choix judicieux, comment on souhaite aménager son temps de travail jusqu’à la retraite, comment on peut s’adapter au marché du travail afin de conserver un profil intéressant pour un large éventail d’options. Différentes possibilités s’offrent alors à nous: carrière en arc, réorientation, etc. Le bon dosage entre compétences techniques, méthodologiques, sociales et personnelles, qui permet à un cadre d’exercer son rôle avec professionnalisme, peut varier selon sa situation professionnelle et la phase de développement dans laquelle il se trouve. Avant de choisir une formation continue, les dirigeants feraient bien d’analyser leur situation et de clarifier ce que recouvre la prochaine phase de développement de carrière.

 

Quels conseils donneriez-vous dans de telles situations?

Pour les jeunes cadres, je mettrais l’accent sur la pratique ainsi que sur les compétences méthodologiques et de conception, qui sont rapidement applicables et s’avèrent utiles face à des problématiques complexes. Les compétences sociales et personnelles sont des prérequis. La formation continue devrait suivre une approche systémique et interdisciplinaire, et permettre de réseauter au sein de sa propre entreprise. Il faut alors veiller au décloisonnement, par exemple dans l’imputation de prestations. Pour les cadres déjà bien établis, je leur conseillerais de faire régulièrement une pause «ravitaillement» et de choisir des formations continues compactes leur permettant d’élargir ou d’approfondir des compétences existantes, par exemple en lien avec la numérisation. Dans la dernière partie de carrière, il est intéressant de faire un bilan de compétences. Si l’on veut se diriger plutôt vers des activités de conseil, il faut disposer de compétences méthodologiques adaptées. Il existe aujourd’hui pour cela des diplômes intéressants dans la formation professionnelle supérieure, comme le brevet fédéral (BF) de mentor d’entreprise ou le diplôme fédéral (DF) de conseiller-ère.

 

Comment l’ASC s’engage-t-elle pour la formation continue des cadres?

L’ASC propose elle-même des formations destinées aux cadres, qu’ils soient jeunes ou confirmés, avec possibilité d’obtenir un diplôme de la HES Kalaidos. Elle dispense également la formation Digital Leader, en collaboration avec la HWZ (Haute école d’économie de Zurich), et entretient des partenariats dans le domaine de la formation continue avec différentes institutions de formation. Elle est en outre responsable des BF de mentor d’entreprise et de spécialiste de la conduite d’équipe, ainsi que des DF de conseiller-ère (superviseur-coach et conseiller- ère en organisation), de directeur-trice des travaux, de maître dans l’industrie et d’expert-e en conduite organisationnelle.

 

Quels sont les prochains défis et projets qui vous attendent?

En 2018, notre association fêtera son 125e anniversaire. À cette occasion, nous voulons mettre l’accent sur les tâches de direction en Suisse: en quoi ces dernières consistent-elles? Comment ont-elles évolué? Quels sont les besoins en la matière pour que la Suisse puisse conserver à l’avenir son statut de «terre des possibles»? En tant que centre de compétences pour les cadres, nous nous intéressons bien entendu aux aptitudes des dirigeants en poste comme des futurs cadres. Comment permettre aux dirigeants de se préparer pour pouvoir participer activement dans un monde du travail qui a évolué et est tourné vers le numérique? Dans ce contexte, il est également important de s’interroger sur la manière d’exploiter au mieux le potentiel des femmes. Nous allons pour cela lancer un projet pilote en Suisse romande afin d’identifier et de faire reconnaître des compétences non formelles, qui n’ont pas nécessairement été acquises en entreprise.